mercredi 23 juillet 2008

ANDRIEU TOUCHE LE JACKPOT


Grande finale des World Series of Backgammon. Seize joueurs. Quinze matches. Trois points. Une cadence très rapide. Et un seul homme au sommet ce soir, avec 100 000 euros de plus dans la poche en fin de journée. On est au salon, avec les joueurs, leurs copains, leurs familles parfois, et puis les amoureux du beau jeu qui passent la journée à boire un coup en mangeant une part de gâteau, affalés dans un canapé à s’émouvoir devant la multitude d’écrans qui nous entourent. Ca crie, ça rit, ça pleure, ça commente. Chouette journée.
Pas grand-chose à dire sur l’apéritif 100% british : John Hurst est opposé à Andrew Plater. Le premier, vainqueur à Londres à l’automne, est éliminé. Plater est en quart. Le show commence au deuxième match. L’Autrichien Tassilo Rzymann a gagné au Danemark. Il rencontre Frédéric Andrieu. L’un des deux Français du tableau avec François Tardieu. Tous les deux ont gagné leur billet dans des tableaux de qualification organisés ici, à Cannes. Fred est tendu. L’enjeu, les caméras, la pendule. Dans la partie décisive, il fait juste n’importe quoi. C’est l’hystérie dans le salon. A chacun de ses mouvements, les observateurs sont un peu plus décontenancés. Son adversaire aussi. A la fin du match, on interrogera l’ordinateur qui donnera Rzymann favori à « 103% » ! Perdre ça, ça rend fou. Fred est passé là où personne ne passe. Comme quoi, mal jouer au bon moment… Quant à Tassilo, il enchaîne bière sur bière en éructant. Celle-là, il n’est pas près de s’en remettre. Et elle valait peut-être 100 000 euros…


La boulette d’Olsen

Les Danois entrent alors en piste. Andreas Olsen, champion national, contre Lars Trabolt, tout frais champion du Monde. Olsen fait la course en tête. On arrive tout de même à un double point de match. Acharné. Ca peut tomber d’un côté ou de l’autre. C’est pour Olsen. Il a fermé son board. Traby est sur la barre. Game over. Et puis l’erreur. Bête. Surprenante à ce niveau-là. Le stress de l’enjeu, de la pendule qui tourne ? Olsen a un double trois à jouer. Il joue un peu vite. Il reste impair sur ses point cinq et six. Double six et un pion offert à la frappe de Trabolt qui ne tremble pas pour tirer un cinq. Il ferme à son tour mais laisse, lui aussi, une frappe. Mais lui n’avait pas le choix… Et il n’est pas frappé. Par un trou de souris, c’est lui qui passe. Olsen va s’en vouloir un moment.
Le match suivant n’appelle aucun commentaire. Exécution en règle ! L’Egyptien Rida Hassan n’a laissé aucune chance au Grec d’Allemagne Athanasios Lagopatis. 3-0 et on n’en parle plus.


Carlsson cède à la pression

Duel américain ensuite. Robert Koca, vainqueur hier de la Riviera Cup croise le fer avec une espèce de légende au physique de colosse. Mike Svobodny est un ancien champion du Monde devenu une figure du monde du jeu, le backgammon n’étant qu’un parmi tant d’autres. La légende commence par passer deux cubes. En trois points, c’est pas bien bon tout ça. 2-0 donc pour Koca. Il mène et continue à jouer très agressif. Et Svobo ne voit pas un dé. Koca lui laisse quantité de doubles frappes mais il ne voit rien. L’affaire est à peu près aussi vite pliée que la précédente.

On enchaîne avec un tête-à-tête nordique : Jakob Holdt-Simonsen pour le Danemark, Oscar Carlsson pour la Suède. Et décidément, la pression semble trop forte pour certains. Carlsson va littéralement offrir le match à son adversaire. Une première fois, alors que le cube est envoyé, il peut prendre un avantage décisif mais joue de travers son double cinq pourtant formidable. Il pourrait y avoir quatre points au bout. Plus tard, il ne voit pas un cinq et deux qui frappe et ferme une cinquième porte. Il perdra et ne pourra que s’en prendre à lui-même. A côté de nous, le clan suédois est dépité.


Tardieu à la trappe d’entrée

Pour Aaron Kopper, un joueur hollandais qualifié en ligne, c’est la toute première derrière un board en tournoi officiel. Et comme cadeau de bienvenue, il hérite du numéro un mondial, Matvey “Falafel” Natanzon. L’Israélien va pourtant trembler jusqu’au bout. Kopper est faible, ça se voit et ça s’entend tant les qualificatifs fusent dans le salon. Mais il s’accroche et fait suer sang et eau à Falafel qui s’impose finalement. On attend son duel avec son éternel rival pour le titre de « plus grosse tête pensante du backgammon mondial », François Tardieu. Le leader du backgammon français n’a pas été aussi gâté que son camarade au tirage au sort en héritant du quatrième danois du tableau, le vainqueur de la consolation d’hier, Karsten Bredahl. Avantage Danemark puis un partout. François envoie vite. C’est la dernière partie de ce premier tour. Elle est compliquée. Les deux joueurs sont en backgame et la pendule tourne vite. L’avantage vacille. François le perd finalement définitivement. Le salon est à moitié danois, à moitié français, et les autres sont coupés en deux clans. Ca crie à chaque fois que les dés en donnent l’occasion. Des dés qui choisissent donc Bredahl. Le grand duel n’aura pas lieu. Et les Danois font encore un grand chelem. Ils étaient quatre engagés, deux se rencontraient, ils en ont qualifié trois, rien à ajouter.


Andrieu en demi, à sa manière…

En route pour les quarts de finale. Andrieu-Plater, les deux premiers qualifiés de la journée. Fred prend les devants. Il oublie plusieurs cubes en route. Dans le salon, on se demande d’où viennent ses hésitations. Falafel, notre référence lorsqu’on a un doute, est le plus halluciné. Ca y est. Enfin. Cube, passe, 1-0. Dans la suivante, il est loin devant. Sur les canapés, la délégation française attend le gammon définitif. Mais ça se dégrade un peu, avec une ou deux approximations d’Andrieu au passage. On avance et l’avantage redevient significatif. Le gammon est encore là, à patienter dans un coin. Un gammon à 10 000 euros, le prix du demi-finaliste. Mais Plater sort vite du piège. 2-0 « seulement ». Et la suivante qui part mal. Et Fred qui nous agrémente encore le tout de quelques mouvements qui attirent sur les Français les quolibets de nos amis allemands. Mais Fred qui a une bonne étoile dans le gobelet. Il frappe. Il ferme. Et puis le grand classique : il est shooté de la barre alors qu’il a commencé à sortir ses pions. La bonne étoile brille toujours ? Bien sûr. Il ressort tout de suite. Il accélère. On tremble mais il tire un dernier double. Il est en demi-finale.


Traby sur la lancée de Monaco

Trabolt-Hassan pour suivre. On a failli assister au match le plus court de la journée. Et sans cube… Le Danois domine, enferme son adversaire et commence à sortir. Le gammon est assuré. Arrive le dernier double. Il ne lui reste plus qu’un pion au point deux contre un pion adverse à l’as. La salle se lève et hurle. 3 et 2 de Hassan et c’est fini. Il tire plus gros. 2-0 quand même pour le champion du Monde. Derrière, Hassan prend l’avantage avant de ne plus rien voir. Trabolt le frappe dans une position dangereuse. Et Hasan attaque une impressionnante série de galas qui permettent au Danois de toucher au but. Jusqu’à la traditionnelle frappe en cours de sortie. Quelques échanges de shoots plus tard, Traby conclut. Dans le dernier carré, Andrieu, ancien vainqueur de Monaco dans la catégorie intermédiaire, se voit offrir un vainqueur de la classe supérieure.


Le numéro un est toujours là

Le troisième quart de finale se déroule à sens unique. Robert Koca est en plein rush. C’est sa semaine. 3-0 et peu à dire sur sa victoire contre Jakob Holdt-Simonsen. Dans la course finale, le Danois n’a tiré que des 2-1, 3-1, 3-2 alors qu’il était déjà en retard. Quand ça ne veut pas, ça ne veut pas…

Il nous reste à voir un quart de finale de haut vol entre Falafel et le dernier Danois Karsten Bredahl. Trabolt sera finalement le seul représentant de la grande nation du backgammon parmi les quatre derniers. Un match assez rapide conclu par une partie très positionnelle d’où Falafel s’extirpe le premier. Il gagne logiquement la course qu’il a attaquée en tête. Le numéro un est toujours là. Alors, à cette heure-là, on est partagé. Bien sûr, Andrieu en finale, on ne dirait pas non. Mais une ultime joute entre le champion du Monde et le numéro un des Giants, l’affiche aurait une sacrée allure. Et n’oublions pas dans nos prières Robert Koca qui n’a pas la dégaine du type qui a envie de lâcher maintenant.


Falafel butte encore

La première demi-finale est la plus déséquilibrée. Mais Frédéric Andrieu a une envie qui vaut cher. Lars Trabolt doit arriver assez sûr de lui sur le board mais il connaît le backgammon mieux que personne. Il sait que tout peut arriver. Et vite. Je n’ai d’ailleurs pas grand-chose à vous raconter sur le match. Bien sûr, quelques péripéties. Mais c’est un TGV que Traby a pris en pleine face. Mené 1-0 après un cube inacceptable, il envoie dès qu’il a pris l’avantage. Mais un avantage bien maigre : aucun des deux joueurs n’a construit la moindre porte ! Alors évidemment, Fred se saisit du videau et on poursuit. Jusqu’au bout on tremble, mais Fred ne subit aucun accident. 3-0 et un Français en finale. Pas celui qu’on attendait. Qu’importe, c’est la belle aventure. De toute façon, à l’issue de la finale, ce sera la belle aventure. Robert Koca, vainqueur hier de la septième étape du PGT, a terrassé le numéro un mondial en une seule partie. Falafel envoie un cube très solide. Longue réflexion puis take. A partir de cet instant, Falafel ne tire plus que ses pires. Et Koca trouve une fenêtre de retour de videau à quatre. Hésitation, cette fois-ci, de l’autre côté et même décision : take. L’Israélien ne s’en remettra pas. Mais quand donc franchira-t-il les dernières marches vers un titre majeur ? On aimerait bien le voir tout en-haut et, croyez-le bien, lui aussi.


Frédéric Andrieu plus heureux et plus riche

Robert Koca, dans quelques minutes, réalisera peut-être le séjour parfait : Riviera Cup + Finale des WSOP = 145 000 euros. Quoi qu’il arrive, il en a déjà assuré 85 000. Il peut prendre le chemin du retour tranquille, d’autant qu’avec des euros, de nos jours, on achète pas mal de dollars ! Il en achètera beaucoup, certes, mais moins qu’espéré. Parce que Frédéric Andrieu l’a fait. On a même cru qu’il ferait très vite fait et très bien fait. Il envoie un cube solide dans la première et déroule ensuite gentiment. Il a fermé son board et mis Koca à la barre. S’il attrape le deuxième pion, il y a du gros gammon dans l’air. Mais il laisse le deuxième en route. Koca sauve le gammon. 2-0. Dans la suivante, c’est Fred qui sauve le gammon de justesse. Il aura un free drop. Koca envoie. Il passe. 2 partout. Un point pour la gloire et 100 000 euros. C’est la guerre jusqu’au bout. Fred est favori mais la course peut basculer sur un double. Aucun des deux joueurs ne tirera le moindre joker et l’avance va demeurer jusqu’à la libération. Tout à l’heure, Frédéric Andrieu va s’endormir un peu plus heureux et un peu plus riche qu’au réveil. Quant à moi, je suis vidé. Cette journée marathon m’a mis à plat. Lorsque je vous ai écrit les premières lignes, il faisait plein soleil, il était quinze heures. Il est bientôt quatre heures du matin et un avion m’attend dans quelques heures. Je suis saoulé de backgammon. Le grand air de la montagne va me faire le plus grand bien. Je reviens vous voir en septembre. Bonnes vacances les p’tits z’amis. Vous allez me manquer. Allez, à bientôt…


Franck STEPLER