Une fois n’est pas coutume, je ne prends pas le clavier à deux heures du matin pour démarrer cette chronique. Aujourd’hui, tout se passe un peu à l’envers. D’abord parce que, la nuit dernière, virés de la table de poker à 4h30 du matin pour cause de fermeture du casino, nous étions un peu sevrés de jeu (il est vrai que nous n’avions démarré qu’à 14h…). Alors nous avons entamé une petite chouette (formule de backgammon qui se joue à plusieurs camarades en pleine forme nocturne, information que je délivre ici aux non initiés qui croiraient qu’on a taquiné la femelle du hibou toute la nuit à plusieurs dans une chambre). Tranquillement affalés sur un lit d’hôtel, nous avons achevé nos hostilités vers 7h du matin. Autant dire que l’attaque du last chance à 14h était un peu brouillardeuse. On y reviendra. Mais si je vous écris dès le milieu d’après-midi, c’est que la course à la qualification pour les WSOB est palpitante. Chaque match du last chance, avec ses cinq points à la clé, fait varier le classement. Or ils ne seront que cinq à accompagner les vainqueurs des trois étapes dans la grande finale de lundi. De l’Américain Robert Koca et du Danois Gus Hansen, l’un des deux se moquera dans quelques heures du classement. Gus s’est qualifié en début d’après-midi pour la finale et il n’est plus qu’à 13 points d’une qualification directe. Lui, l’ambassadeur de la compétition, qualifié pour la grande finale, il faut avouer que ça aurait une sacrée gueule !
Le voyage Lourdes, La Mecque, Jérusalem
En attendant, la finale de la consolation est lancée. Des quatre Danois du haut de tableau, c’est Karsten Bredahl qui est sorti vainqueur. En bas, Marc Santo-Roman est passé tout près. A un shoot d’Alain Babillon. Et c’est finalement Le Nageur qui passe. Et c’est alors que nous nous retrouvons devant notre écran à suive la finale. De la pure magie noire. Ces gars-là et moi, on ne joue vraiment pas mais alors pas du tout au même jeu. Bienvenue au festival du joker ! A un miracle répond un miracle. C’est le voyage Lourdes, La Mecque, Jérusalem en moins d’une heure. Le seul impératif à ce jeu c’est de réaliser le dernier joker. Et à ce petit jeu, le Danois est trop fort. A 5-4 pour lui (match en 9), après avoir déjà retourné une ou deux parties, il sort encore vainqueur de la confrontation. A tour de rôle, Alain et lui tirent l’intirable pour prendre un avantage à peu près décisif. Et là, c’est vraiment plié. Enfin, à un double quatre près. Evidemment double quatre ! Sinon, je ne vous raconterais pas tout ça. Bref, il va falloir cravacher pour lui arracher la gagne, d’autant qu’Alain n’a plus que trois minutes à la pendule. Ici, on joue à une cadence très rapide. Et Alain, qui n’est pas le joueur le plus lent du circuit, aime quand même avoir son temps. Tant pis, il va falloir accélérer. Vaine accélération. Il n’y aura pas de retour. Bredahl vainqueur.
Les petits ont mangé les gros
Avec son acolyte danois, Karsten enchaîne illico avec la finale du double consultation. S’il était légèrement favori dans la consolation, il l’est là plus encore. Dans un nouveau duel franco-danois, les hommes du grand nord sont opposés à une équipe cosmopolite composée des deux régionaux José Rodriguez et Claude Lambert, qui portent nos couleurs mais composent en même temps une paire hispano-belge. Ce n’est rien de dire qu’ils ne sont pas favoris. Mais le backgammon est ainsi fait que le petit a parfois le droit de manger le gros. Et même plusieurs fois s’il a très faim. Ainsi les nôtres ont-ils balayé 9-1 Uli Koch et Ed O’Laughlin en demi-finale avant de croquer les Danois 9-2. On ne l’aurait pas parié mais un grand coup de chapeau à eux qui croient si fort en leurs chances à chaque fois qu’ils s’asseyent devant un board. José a donc confirmé son beau parcours monégasque. Amélie Viennois aussi, qui remporte la consolation de la division intermédiaire après le last chance débutant de Monaco. On l’attend donc désormais victorieuse du main de la première division lors du prochain tournoi. Et tout cela méritait bien un Ladies Prize !
Une finale à double enjeu
Dans le grand tableau intermédiaire, ce sont deux Arméniens qui se partagent la finale. Ils sont moins nombreux qu’avant à nous rendre visite sur les tournois mais ceux qui viennent sont souvent placés. Coup de chapeau aussi à Dorian, que l’on croise tous les hivers au Festival des Jeux de Cannes et qui s’impose dans la division débutants. Son sens du jeu doit lui permettre de réaliser très vite des résultats à l’étage au-dessus. Avec tout ça, on allait oublier Gus et Robert. Alors que la remise des prix a eu lieu et que le cocktail bat son plein, eux s’affrontent devant les caméras. L’enjeu est d’importance. D’une double importance même : inscrire l’un des plus prestigieux tournois de la saison à son palmarès mais aussi se qualifier pour la grande finale des WSOB. Car on le sait maintenant, seul le vainqueur rejoindra le groupe des seize méritants. Malheur au vaincu qui n’aura pas engrangé assez de points. Il perdra gros et l’opportunité d’empocher encore bien plus gros…
Gus a mal au crâne
Parce qu’il est une star du poker, parce qu’il est danois, parce qu’il est l’ambassadeur des WSOB, tout le monde voyait Gus au Panthéon. Moi-même j’en ai fait mon favori depuis deux ou trois jours. Mais je vous avais parlé de Robert Koca comme d’un des Américains les plus solides. Sa réputation était nouvelle pour moi mais apparemment pas usurpée. Il fait la cours en tête. Largement. Puis Gus recolle. Puis Robert remet un coup d’accélérateur. 11-8. « A deux points du bonheur », diraient certains au bord du court Philippe-Chatrier à Roland-Garros. A ce score, après avoir pris l’avantage, l’Américain réfléchit longuement au cube. S’il est pris, c’est pour être aussitôt renvoyé. Mais il peut aussi gagner le match sur cette action. Gus a mal au crâne. Il se le prend d’ailleurs à deux mains à l’heure de la réflexion. Et cette réflexion dure. Il compte. Il analyse. Devant l’écran, on entend de tout, comme d’habitude : « ce n’est pas un cube », « je passe », « je prends et je renvoie ». Les Allemands ont sorti l’ordinateur : c’est un bon cube et un tout petit passe. Gus Passe. 12-8. Balle de match pour Koca.
Joker, contre-Joker, Koca vainqueur
On croit jusqu’au bout qu’il va se sortir d’une partie caramélisée mais il est finalement menotté : gammon et 12-10. Puis un passe et 12-11. Gus double d’entée bien sûr. C’est la dernière. Gus réfléchit très longtemps à un double deux compliqué, en début de partie. Il fait un choix étonnant. Mais payant. Gala sur deux portes de Koca. Pour autant, la partie est « au milieu ». Elle peine à se choisir un favori. Et il ne leur reste que trois minutes à chacun à la pendule. Ca laisse du temps mais il va falloir jouer à l’instinct, au talent pur. Pourtant, Koca prend son temps, réfléchit longuement avant de jouer un 6-5 compliqué. Il frappe. Il est repris. Et les échanges de frappes se poursuivent. Le favori change quasiment à chaque lancer de dés. Devant l’écran, chacun voit un joueur devant, puis un autre. Le vainqueur sera désigné pour pas grand-chose : un gala de trop, un joker de plus. C’est à cela et à cela seulement, que tient un match comme celui-là. Koca a la pression, bien plus que Hansen. Il a du mal à gérer. Il lui reste 45 secondes. Double cinq de Gus. Voilà un sacré joker ! Encore faut-il bien le jouer. Il hésite un moment. Il choisit. A la course, il est encore en retard. Mais il tire des gros. C’est bon pour sa course. Moins pour son timing. Toujours les mêmes paradoxes du backgammon. Des gros des deux côtés. Et double cinq de Koca à son tour. Les Américains explosent dans la salle. Le contre-joker absolu. Gus a encore une course. Mais il est maintenant très en retard. C’est quasiment fini. Il ne reviendra pas. Robert Koca s’impose dans la Riviera Cup et se qualifie pour la grande finale des WSOB.
J’adore Rassoul !
Quelle semaine ! Et dire que ce n’est pas fini. Mais je veux des vacances moi. Je n’en peux plus de ce foutu backgammon ! Mais non, pas encore l’air pur de la montagne. Il va falloir attendre 24 heures de plus. Cette année, on joue les prolongations le lundi avec cette grande finale des WSOB et quelques petits tournois secondaires encore à disputer. J’aurai donc le plaisir de vous écrire encore demain. Après, on fera la pause jusqu’à Aix-en-Provence, en septembre, dernière chance de ramasser des points pour rejoindre une autre grande finale, celle du PartoucheGammon Tour d’octobre, à Divonne-les-Bains. Ca doit vous faire marrer de lire mes éternels espoirs mais il va bien falloir que je réussisse enfin quelque chose de sérieux à Aix si je veux me qualifier. Je ne sais même pas si je le mérite tant ma saison a été désastreuse. Allez les Dieux, si on s’agitait un peu dans la bonne direction. Vous avez donné le double à Rodriguez et Lambert, vous avez mis 17-4 dans le gobelet de Rassoul Rasti contre Fallafel à Paris. Et mon tour, c’est quand ? Au fait, Rassoul, le Suisse venu d’Iran, finaliste inattendu à Paris, joueur fantasque s’il en est, s’est vu attribuer le prix du fair-play cette semaine pour son éternelle bonne humeur. Il gagne avec le sourire et la candeur d’un gamin. Il perd à peu près de la même façon. Il est là pour se marrer et ça se sent. J’adore ça ! Allez, à demain…
Franck STEPLER